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13 mai 2024

Virginie Pavard, ou le combat des Érea

 

Permettre à tous les jeunes, malgré leurs handicaps, de trouver une place dans la société, c’est la mission des Établissements régionaux d’enseignement adapté, désormais soutenue par la SMLH. Rencontre avec la responsable de l’Érea Alexandre-Dumas, dans le 15e arrondissement de Paris : elle fait partager ses convictions et son enthousiasme.

 


Érea

Créés en 1985, ils sont les héritiers des écoles autonomes de perfectionnement nées au début du 20e siècle. Ils sont près de 80 en France. Sauf en région parisienne, quasiment tous sont des internats.

Ils accueillent des élèves de collège et de lycée, qui souffrent pour la plupart de déficience intellectuelle, difficultés scolaires graves, difficultés sociales et familiales, troubles du comportement et de la conduite.

Ces établissements leur permettent d'élaborer leur projet d'orientation et de formation ainsi que leur projet d'insertion professionnelle et sociale en fonction de leurs aspirations et de leurs capacités, par l'individualisation des durées et des parcours de formation.

Pourquoi avoir rejoint un Érea ?

Parce que ce type d’établissement accueille exactement le public auquel je m’intéresse et pour lequel je suis formée et continue à me former : des élèves de collège et de lycée ayant des difficultés scolaires et/ou sociales persistantes et faisant obstacle à leur réussite. Ici, nous fonctionnons avec de grandes marges de manœuvre, autour de trois axes majeurs qui constituent notre projet d’établissement.

D’abord, la valorisation des élèves et de leur travail par la sécurisation de leur parcours professionnel, tout en cherchant à les autonomiser et à leur donner les codes nécessaires à une vie sociale et professionnelle choisie et non subie. Nos classes ont de petits effectifs, ce qui permet un accompagnement beaucoup plus personnalisé, une pédagogie différenciée et des réponses adaptées aux besoins éducatifs particuliers de chaque élève.

Deuxième axe : l’accent mis sur la maîtrise de la langue française et l’expression orale, condition indispensable pour une bonne inclusion sociale et confiance en soi, via notamment des jeux de rôles et ateliers théâtre.

Le troisième axe enfin, c’est l’attention portée à l’accueil des élèves et de leurs familles, des professeurs, des agents, et de toute la communauté éducative, en favorisant le bien-être et l’épanouissement individuels.

Quels sont vos différents dispositifs ?

L’Érea accueille des élèves de collège et de lycée : nous avons trois classes de 3e « prépa métiers », deux classes d’élèves allophones, un dispositif classe relais pour élèves décrocheurs. Au niveau lycée, nous préparons les élèves au CAP cuisine et CAP commercialisation et services en hôtel, café et restaurant. Cette année, nous avons la chance de pouvoir offrir à nos élèves qui le souhaitent de poursuivre en bac professionnel cuisine ou commercialisation et services en deux ans, sous un format hybride, c’est-à- dire une année en formation initiale et une année en apprentissage. L’objectif est de les accompagner jusqu’à leur entrée dans la vie professionnelle dans les meilleures conditions de réussite. Nous avons également ouvert une mention complémentaire « employé traiteur », formation en apprentissage en alternance, avec un rythme de 15 jours de cours et 15 jours en entreprise. Le CFA académique a budgété un très beau laboratoire professionnel pour le plus grand bonheur des professeurs et des élèves.

 

Un autre dispositif de l’Érea, le Module d’accompagnement vers la vie professionnelle (Mavip) accueille une quinzaine d’élèves en situation de handicap sans solution de formation et en fin de parcours scolaire, âgés de 16 à 20 ans et s’orientant essentiellement vers les métiers de l’hôtellerie et la restauration. L’insertion professionnelle se construit avec des interventions de partenaires extérieurs, l’animation de différents ateliers en lien avec le milieu professionnel et aussi par des mini-stages et stages en CFA, entreprises ordinaires, adaptées et/ou protégées.

Enfin, nous accueillons un Groupement d’établissements publics locaux d’enseignements (Gréta) pôle handicap, qui offre des formations continues à des adultes malentendants ou sourds.

Nous ouvrons également la formation cuisine à la mairie de Paris trois soirs par semaine et accueillons des personnes qui souhaitent prendre des cours de cuisine.

 

Depuis deux ans, pour faire connaître notre établissement, nous avons mis en place les « Cordées de la réussite », un dispositif national qui vise à faire de l’accompagnement à l’orientation un réel levier d’égalité des chances et susciter l’ambition scolaire des élèves. L’objectif est de leur faire découvrir nos formations professionnelles et les métiers auxquels nous préparons avec un parcours sous format de visites et ateliers. Six élèves, parmi ceux qui ont suivi nos quatre niveaux de parcours l’an dernier, ont intégré nos CAP cette année, c’est un vrai choix d’orientation. 

Pouvez-vous nous donner un exemple de pédagogie appliquée dans l’établissement ?

Nous travaillons beaucoup en pédagogie de projets et en partenariat. Cette année, nous avons une professeure qui s’est lancée avec ses élèves dans la création d’une mini entreprise avec l’association Entreprendre pour apprendre. Cette classe de CAP cuisine va ainsi proposer des cours de cuisine pour adultes en soirée. Elle a créé son logo, recherche aujourd’hui un financement et va bientôt lancer son premier cours ! L’important, c’est de donner du sens aux apprentissages. Cela permet à ces jeunes fragilisés par la vie d’apprendre de façon moins subie et de développer des compétences.

La classe de bac professionnel travaille avec l’Académie du climat pour un projet durable autour de l’alimentation. Nous 

avons également un projet d’installation de ruches connectées. Nous venons d’obtenir un financement de la Région sur ce projet développé en collaboration avec un autre lycée professionnel. Chaque année, nous développons des projets pédagogiques transversaux.

Nous avons deux restaurants pédagogiques ouverts au public midi et soir, ce qui permet à nos élèves d’apprendre leur métier au plus près de la réalité. Nous organisons également plusieurs fois dans l’année des soirées à thème sous forme de banquet

afin de les familiariser avec les réceptions. Par exemple, chaque année, nous organisons une grande soirée pour le Sidaction et toutes les recettes sont reversées à l’association. La dernière soirée était organisée le 22 mars.

Vous avez évoqué des élèves ayant des problèmes scolaires mais aussi sociaux, financiers, etc. ?

Oui, beaucoup d’élèves sont en grande souffrance ; certains sont issus d’un parcours migratoire et isolés sur le territoire français. Ils sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) s’ils sont mineurs ou par des associations. Beaucoup sont en foyer d’hébergement.

 

D’autres élèves vivent en famille mais parfois dans la grande précarité. Je me suis rendu compte par exemple que certains ne mangeaient pas à leur faim et nous avons mis en place des petits-déjeuners gratuits, financés par nos fonds propres. Nous avons donc modifié notre Règlement intérieur pour ouvrir nos portes à 7 h 30 au lieu de 8 heures. C’est un vrai succès ! Cette année, j’ai décidé d’élargir cette action à tous les personnels de l’établissement, à une condition : qu’ils mangent avec les élèves et que ce soit un temps de partage. Cette initiative contribue à apaiser le climat scolaire.

 

Nous recherchons toujours des financements extérieurs sous forme de dons ou des partenariats avec des magasins alimentaires. La SMLH du 15e arrondissement nous a fait un don pour cette action que nous souhaitons pérenniser. Nous avons également ouvert une « boutique solidaire », gérée par la communauté avec des dons de vêtements pour répondre aux besoins de nos élèves les plus démunis. Le fonds social lycéen existant complète les besoins individuels.

Avez-vous d’autres projets ?

Oui, j’ai toujours des idées (rires) ! Et j’ai la chance d’avoir une équipe de direction dynamique et des personnels investis qui me soutiennent et font un travail formidable. Nous avons les projets de créer une salle de restaurant pédagogique en brasserie parisienne, de même pour l’entrée de l’établissement et réaliser une fresque avec des élèves et une artiste renommée... À la rentrée prochaine, un projet de partenariat est en cours, avec l’accueil possible à l’Érea d’une Unité d’enseignement externalisé (UEE) en lien avec le Centre Grosselin, à Paris, qui accueille des jeunes atteints de surdité moyenne, sévère ou profonde et parfois de handicaps associés. Un bon moyen de travailler l’inclusion et le lien social !

Quelles difficultés rencontrez-vous ?

Je dirais que les Érea sont des établissements scolaires méconnus à la fois du grand public, des professionnels et des professeurs potentiels que nous avons par conséquent du mal à recruter. Alors que nous faisons un travail essentiel pour la société : grâce à ces établissements spécifiques, des jeunes en grande difficulté scolaire et/ou en situation de handicap sont accompagnés dans leur projet d’insertion professionnelle et sociale. Les Érea permettent de lutter de manière efficace contre le décrochage scolaire. Nous transmettons et faisons vivre les valeurs de la République par des actions concrètes au sein de l’établissement. Par exemple, est organisée tous les ans en octobre une remise de diplôme, avec une cérémonie officielle républicaine, en mairie. Une bonne façon de « marquer » le coup et d’apprendre la force et le respect des symboles.

 

Les élèves sont bien sûr formés professionnellement au service et à la gastronomie française, pour qu’ils puissent ensuite assurer correctement des métiers en tension... contribuant ainsi au bien commun ! Il reste toujours difficile d’apporter des réponses globales sur des sujets pourtant cruciaux comme ceux de la mixité sociale, la lutte contre les discriminations, les violences, des difficultés scolaires, l’insertion... Ce sont plutôt, outre les mesures ministérielles, des réponses locales qui sont données pour répondre aux besoins éducatifs particuliers de nos élèves dans un territoire ciblé.

 

Les Érea revendiquent une politique nationale et une reconnaissance du travail spécifique réalisé. Ils fonctionnent en effet différemment selon les académies qui les gèrent et l’ensemble manque de cohérence. Je suis présidente depuis deux ans du CN2E (Comité national des Érea – ERPD), avec l’objectif de créer un peu de cohésion entre nos établissements : définir les plus-values et spécificités de nos structures et obtenir des avancées sur la formation professionnelle de nos élèves, les affectations, le statut des personnels, leur formation, la spécificité des internats...

Nous organisons un colloque national une fois par an pour faire évoluer nos réflexions et nos actions. Nous travaillons depuis un an avec le ministère de la Formation professionnelle et la Dgesco. En octobre 2023, nous avons présenté au ministère une note de synthèse regroupant un état des lieux des Érea en France et trois grandes préconisations : la mise en place d’une représentation des Érea dans les groupes de travail ministériels ; la valorisation de ces établissements ; un pilotage national. J’espère que l’on va pouvoir continuer à écrire une nouvelle page pour les Érea !

Quels sont vos liens avec la SMLH ?

La section du 15e vient régulièrement faire des formations très vivantes à l’éducation citoyenne et républicaine, que nos élèves apprécient beaucoup. Outre la participation financière à nos petits-déjeuners, elle vient de nous faire un don pour un voyage scolaire. Une de nos élèves a été sélectionnée pour le Prix national de l'apprentissage organisé en octobre dernier.

La section du 15e fait également vivre nos restaurants pédagogiques lors de leurs rencontres ou séminaires en mettant à l’honneur à chaque réservation, le travail de nos

cuisiniers et serveurs et bien entendu leurs professeurs.

 

Par ailleurs, nous venons de signer une convention avec la SMLH pour qu’elle participe aux « mesures de responsabilisation » inscrites dans l’échelle des sanctions de l’établissement. De préférence à l’exclusion, il s’agit de permettre à l’élève de réfléchir à ses actes et de les réparer symboliquement par des travaux divers, en dehors du temps scolaire, en rapport avec la faute commise. L’objectif est de rendre la sanction éducative. Ainsi la SMLH pourrait accueillir très prochainement un de nos élèves au siège, comme d’autres associations déjà partenaires : l’Armée du Salut, pour travailler toutes les formes de respect et de solidarité, la Licra, pour rencontrer une bénévole pour lutter contre des propos racistes, un Ehpad, pour travailler le lien intergénérationnel...

Un parcours centré sur les relations humaines et l'accompagnement des jeunes en grande difficulté

D’abord éducatrice spécialisée, Virginie Pavard a ensuite travaillé dans les ressources humaines avant de devenir professeur des écoles. Classes allophones, dispositif pour élèves décrocheurs, direction d’une Section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) puis cheffe d’établissement de collèges en Réseau d’éducation prioritaire (REP), son intérêt pour les jeunes en difficulté ne s’est jamais démenti.

Elle a également été proviseure de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis où elle dirigeait les enseignements scolaires. Depuis septembre 2021, elle est proviseure de l’Érea Alexandre Dumas.

Elle est aussi juge assesseur au tribunal pour enfants de Paris. Elle a reçu la Légion d’honneur en juillet 2023.

Témoignage

Mama Sani, élève

« Je viens du Cameroun, j’ai 20 ans et j’ai été peu scolarisé dans mon pays, juste le niveau primaire. J’ai choisi de venir en France pour rejoindre mon père et avoir une autre vie. Je suis arrivé à l’âge de 16 ans en 2019 et j’ai été scolarisé en UPE2A, c’est une classe pour allophone, pendant plus d’un an à l’Érea puis je me suis orienté en CAP cuisine toujours à l’Érea. J’ai passé mon diplôme de CAP l’année dernière et aujourd’hui je poursuis ma formation en bac pro cuisine. Je remercie tous les gens qui m’ont fait confiance ici. Depuis l’arrivée de la directrice, ça a beaucoup changé, nous faisons des sorties, des projets et découvrons beaucoup de choses sur les métiers de la cuisine. J’ai conscience de la chance d’être ici, à l’Érea et d’avoir des professeurs très engagés qui nous font évoluer malgré toute notre difficulté. Après mon bac, je veux travailler en France et, peut-être un jour, ouvrir un restaurant ! »

Binta, élève

J'ai 19 ans. Je suis sénégalaise. Je suis arrivée en France pour regroupement familial à l'âge de 7 ans et je suis rentrée en CP. Comme j'avais des problèmes de concentration, on m’a orientée en Segpa au collège. Là, par petits groupes, j'ai réussi. Après, je suis arrivée à l'Érea. Je voulais faire de la restauration, que j’avais découverte dans les ateliers de cuisine en Segpa. J'ai passé deux ans à l'Érea et j'ai validé mon CAP CSR. C'est passé hyper vite. C'était trop bien. J'ai participé à un concours national "un œil en salle" et

j'ai été sélectionnée. J'ai aussi obtenu le prix des apprentis pour la SMLH en 2023. J'ai voulu faire un Bac Pro pour progresser. Je me sens bien ici car l'environnement de travail est super, j'ai été voir ailleurs mais c'était moins bien. Mon projet ? Je veux devenir directrice d'un restaurant. »

David, accompagnant d’élève en situation de handicap

« Mon rôle n’est pas toujours facile mais l’établissement permet de réaliser un travail extraordinaire auprès des jeunes, via la cuisine notamment. C’est un cadre exigeant, justement ce qui manque à la plupart. Apprendre à préparer un menu permet de les structurer et de les faire progresser, même si les problèmes extérieurs reviennent souvent les perturber. »

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