
Enfant de la résistance, inlassable témoin de son idéal
Annette Lajon n’a que 11 ans en 1942 quand elle demande à ses parents de prendre part à leurs activités dans l’Organisation civile et militaire (OCM) de l’Orne. Une expérience qui a forgé son caractère et imprégné toute sa vie de femme
« Ne vous inquiétez pas si mon propos présente quelques incohérences, j’ai eu un petit arrêt cardiaque la semaine dernière, mais mon cœur est reparti, cette fois encore ! » déclare avec légèreté Annette Lajon, 93 ans, avant de nous conduire jusqu’à La Métairie, solide maison normande dans sa famille depuis deux siècles.
Fille unique d’un couple d’imprimeurs, Pierre et Renée Nez, Annette Lajon voit le jour à Alençon en 1931. Dès 1938, grâce à l’activité et aux relations de ses parents, la menace du nazisme est pour elle une réalité : « Un artiste autrichien était venu à la maison pour vendre ses tableaux afin d’émigrer aux États-Unis. ‘‘Méfiez-vous, l’ai-je entendu dire à papa, Hitler ne s’arrêtera pas à l’Autriche...»
Quand la France entre en guerre, l’imprimerie est mise en gérance et la famille vient vivre à La Métairie avec les grands-parents. Leur appartement de Flers est laissé à trois femmes juives qui y passeront toute la guerre en sécurité.
Écouter la BBC
Pas question de céder à la panique généralisée : « lors de l’Exode, j’ai été frappée de voir des maires abandonner leurs administrés, sans savoir ce qu’ils fuyaient ni où ils allaient, dit Annette Lajon. Sachant que les nazis réquisitionnaient les maisons avec salle de bain pour loger leurs officiers, mon père a seulement démonté notre baignoire et camouflé les tuyaux. Ainsi, nous avons échappé à l’occupation de la maison... du moins jusqu’en 1944.»
Tous les soirs, autour de la TSF crachotante, la famille écoute la BBC, dans un silence quasi religieux : « C’était le cordon ombilical qui nourrissait notre espoir. » Renée et Pierre Nez reçoivent chez eux tous ceux qui veulent agir sans savoir comment s’y prendre. « Notre maison était l’une des rares à avoir l’électricité, donc aussi la radio et le téléphone, se souvient-elle. Et mon père était un meneur d’hommes. Il a fait partie de ceux qui ont posé les bases des réseaux de la Résistance locale. Ma mère et lui ont commencé à fabriquer de faux papiers, mais aussi à cacher des personnes recherchées, à transmettre des messages et à dissimuler des armes. »
Passer plus facilement inaperçue
Fille unique, la petite Annette suit des cours à domicile et passe l’essentiel de son temps en compagnie d’adultes, d’où une maturité précoce. « C’était ma décision de participer aux activités de mes parents. Ils ne m’en ont jamais parlé. C’était inutile, je voyais ce qu’ils faisaient et je partageais leur idéal, qui est toujours le mien aujourd’hui : défendre la liberté et la dignité humaine, dans toutes les petites actions de la vie quotidienne. »
Malgré son jeune âge, ses parents comme tous les résistants lui font entièrement confiance et lui donnent des missions qui passent plus facilement inaperçues, accomplies par une enfant : s’assurer que la famille d’un ami arrêté est en sûreté sous prétexte d’aller voir une petite copine ; passer devant une sentinelle allemande avec, dans son panier, une mitraillette démontée sous trois pieds de salade... « De quoi acquérir une sacrée maîtrise de soi pour la vie, en toutes circonstances ! Ce qui ne veut pas dire que je n’avais pas peur, reconnaît Annette Lajon. Comme quand ma mère et moi, parties déposer des éclate-pneus après le couvre-feu, avons été surprises par un convoi allemand inattendu : cette fois-là, heureusement que les roues sont passées à quelques millimètres du détonateur car notre cachette n’aurait pas tenu bien longtemps... ».
Jouer la petite sœur de l’aviateur
Dès les premiers mois de 1944, la répression sur la résistance se fait de plus en plus efficace. Le père d’Annette est obligé de « disparaître », elle et sa mère dorment « dans la paille » (dans une grange voisine) pour éviter d’être surprises au petit matin par la Gestapo. Elles finissent, elles aussi, par quitter la maison familiale, non sans avoir « ostensiblement indiqué qu’elles allaient assister à la communion d’une cousine ». En réalité, elles passent huit jours dans un grenier, à seulement huit kilomètres... « J’ai eu le temps de lire tout Molière », sourit-elle, non sans constater : « pendant cette période, on était sauvé par ceux qui ne parlaient pas, le prix de leur silence, c’était la vie... »
Pendant les combats de Normandie, Annette mettra pleinement en application son théâtre, jouant « la petite sœur » d’un aviateur canadien tombé derrière les lignes allemandes, pour l’aider à traverser la ligne de front et regagner son escadrille : « il est ensuite repassé au-dessus de la maison en faisant rouler ses ailes en signe de remerciement. J’ai appris plus tard qu’il avait été abattu au-dessus d’Aix-la-Chapelle, l’hiver suivant... », avoue-t-elle encore aujourd’hui avec émotion.
Après la guerre, reprendre une vie de collégienne ordinaire n’a pas été facile. « Il m’a bien fallu un an et demi. Tout me semblait vide et sans enjeu, aller en cours, faire mes versions latines... » Mais son optimisme reprend le dessus avec les études à Caen, la naissance des enfants, une carrière comme professeure de lettres au gré des déplacements professionnels de son mari, puis comme cadre territoriale au sein du Syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom) d’Athis, l’un des premiers regroupements intercommunaux en France.
Le devoir de transmettre
André Mazeline, dit « Marsouin » quand il était chef local de l’OCM, propose alors à Annette Lajon de témoigner de son expérience dans les établissements scolaires, ce qu’elle accepte avec ferveur et qui lui vaut les Palmes académiques.
Une fois à la retraite, elle poursuit son engagement dans la politique locale en tant qu’adjointe au maire de sa commune et vice-présidente du Sivom (devenu Flers Agglo) tout en continuant à transmettre la mémoire de la Résistance. Encore aujourd’hui, elle est présidente de plusieurs associations mémorielles. « Rester la dernière, quand les frères d’armes ne sont plus là, c’est dur, confie Annette Lajon, mais le devoir de transmettre n’en devient que plus grand ».
La vieille dame a la chance d’être chaleureusement entourée par une grande famille qui compte 5 enfants, 21 petits-enfants et 9 arrière-petits-enfants. L’un d’eux, Thomas Lajon, est réalisateur et prépare un documentaire sur l’Orne résistante à voir bientôt sur France Télévision, avec bien sûr, le précieux témoignage de sa grand-mère. Annette Lajon est nommée chevalier de la Légion d’honneur en 2013, à titre militaire, tient-elle à préciser, comme son père avant elle. « C’est important, non pas pour ce que j’ai fait car je n’étais qu’une petite fourmi, mais pour la reconnaissance de ce en quoi nous avons cru et qui doit rester vivant. Les images des villes bombardées en Ukraine ramènent tant de mauvais souvenirs... cette négation de l’être humain dans ce qu’il a de plus essentiel. Là-dessus, je me sentirais concernée jusqu’à l’article de la mort. »
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