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René MARAN Prix Goncourt 1921

Publié le 02 décembre 2021
René MARAN Prix Goncourt 1921 René MARAN Prix Goncourt 1921

1921, pour la première fois, le prix Goncourt est attribué à un homme Noir, René Maran, écrivain né à Fort-de-France.
En 1921, la Martinique était confrontée à des difficultés d’ordre économique, administratif et social importantes. La prospérité d’après-guerre s’était arrêtée suite à des mesures drastiques prises à l’encontre des sucres et des rhums coloniaux et la population se plaignait de la cherté de la vie. Administrativement, on découvrit plusieurs actes de corruption dans les services des contributions. Le gouverneur Gourbeil arrivé dans l’île en juillet 1920, décida de prendre plusieurs mesures pour relancer l’économie moribonde et remettre de l’ordre dans l’administration. Il créa de nouvelles impositions (taxe sur la fabrication du sucre et du tafia, taxe sur le capital des successions et droits de succession…) afin de redémarrer les grands chantiers commencés par son prédécesseur et il restructura les services. Ces nouvelles mesures prises par le gouverneur furent considérées comme autoritaires. Les conseillers généraux dénoncèrent à l’unanimité les atteintes du gouverneur aux prérogatives de l’Assemblée locale et à la dignité des représentants du peuple et réclamèrent son départ. Les tensions entre les deux partis s’apaisèrent à l’annonce de l’arrivée du Général Mangin car le gouverneur et les conseillers généraux devaient s’atteler à recevoir ensemble cet hôte illustre le 20 juin 1921. Toutefois, trois mois plus tard, le gouverneur Gourbeil quitta la Martinique pour rejoindre son poste d’agent général des Banques coloniales. En novembre, une nouvelle ébranla la Martinique. René Maran remportait le prix Goncourt pour son roman Batouala. En effet, le prix Goncourt considéré comme le prix littéraire le plus convoité en France récompensait pour la première fois de son histoire un écrivain noir. Qui était René Maran et pourquoi son roman fut choisi parmi tant d’autres ?
René Maran naquit le 5 novembre 1887, sur le bateau qui ramenait ses parents de la Guyane vers la Martinique. Sa naissance fut déclarée à Fort-de-France, le 22 novembre 1887. Il partit très jeune poursuivre sa scolarité à Bordeaux et après de brillantes études au lycée Montaigne, il devint administrateur d'outre-mer en Oubangui-Chari (future Centrafrique) en 1912. Il fut touché par les conditions de vie déplorables des peuples colonisés, la famine persistante, la vente des femmes et le comportement indécent des colons. Affectionnant l’écriture, il écrivit plusieurs poèmes avant de se lancer dans la rédaction de son premier roman intitulé Batouala pour lequel il obtint, en 1921, la prestigieuse récompense littéraire du Goncourt alors qu’il n’avait pas présenté son ouvrage lui-même à ce prix. Ce sont ses deux amis, Manoël Gahisto et Henri de Régnier qui l’avaient fait pour lui.
À l’annonce de la nouvelle, celle-ci fit l'effet d'une bombe dans la France des années folles. On pouvait lire dans la presse « René Maran [..] au milieu de Noirs qui lui ressemblent comme des frères, a reçu le prix Goncourt pour son ouvrage « véritable roman nègre » qui a pour titre Batouala ». Elle ajouta que « les dix de l’académie Goncourt étaient épris de couleur et d’étrangeté ». En pleine période coloniale, le livre fit scandale et déclencha les polémiques. Ce livre valut à René Maran des inimitiés et les foudres de la censure. Il fut menacé de mort dans les colonies et sa carrière fut brisée. Son roman fut interdit de publication en Afrique.
Dans ce roman, René Maran décrit avec précision la vie d'un village africain de la tribu banda. Il dépeint leurs traditions, leurs mythes et leurs croyances. Il fait référence aux chants des femmes en deuil, à l'allégresse et la frénésie de la chasse au filet. Pour la première fois un ouvrage donne la première place à des personnages noirs. A travers son récit, il dénonce certains aspects de la colonisation dont les rapports souvent difficiles entre Noirs et Blancs. Il pointe du doigt le poids du racisme imposé par les institutions coloniales et les conditions de recrutement des soldats noirs dans l’armée française. Il ne porte pas de jugement de valeur.
Son roman a inspiré de nombreux écrivains dont André Gide dans « Voyage au Congo (1927) puis Albert Londres dans "Terres d’ébène" (1929). René Maran devient un auteur de référence pour Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor ou Birago Diop, qui firent de lui la source de la Négritude. Cependant, il n’adhéra pas au concept de la Négritude car il y voyait un racisme plus qu’une nouvelle forme d’humanisme.
Après sa démission, il poursuivit sa vie à Paris et fréquenta le salon des sœurs Nardal où il rencontra des auteurs antillo-guyanais et africains. Il était leur modèle car il représentait l’intellectuel noir, venu des Antilles, qui avait réussi à s’imposer, par son talent, dans la vie littéraire parisienne. Après Batouala, il écrivit plusieurs autres romans ainsi que des poèmes. Il mourut en 1960, à l’âge de 72 ans.
René Maran reste sans conteste une référence incontournable de l’histoire coloniale et de la littérature « noire ». Le choix de son roman par les membres du prix Goncourt qui firent preuve de courage et d’impartialité, fut l’objet d’une controverse restée notoire dans l’histoire du prix Goncourt.
Le Prix Goncourt fut constitué en 1902. Il est né de la volonté d’Edmond de Goncourt qui désigna Alphonse Daudet, par volonté testamentaire pour constituer à perpétuité une société littéraire appelée l’Académie des Goncourt. Cette dernière fut reconnue d’utilité publique en 1903, année d’attribution du premier prix Goncourt.
Rappelons qu’Alphonse Daudet est Chevalier de la Légion d’Honneur en 1870 et Officier de la Légion d’Honneur en 1886. Le Président de l’Académie des Goncourt en 1921, année de l’attribution du prix Goncourt à René Maran, était Gustave Geffroy, chevalier de la Légion d’Honneur en 1895 et Officier de la Légion d’Honneur en 1904.